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Feature: LeDevoir (Canada)

LeDevoir (Canada), 10 June 2014

PIANO

Le retour aux sources d’Hélène Grimaud

10 juin 2014
Christophe Huss | Musique

Photo : Mat Hennek

Le projet de sauvegarde des loups permet à Hélène Grimaud de mettre en perspective ce qui se trouve en périphérie du métier artistique.

Hélène Grimaud et Yannick Nézet-Séguin
1er Concerto de Brahms. Jeudi 12 et vendredi 13 juin, à 19 h 30 à la Maison symphonique de Montréal, 514 842-2112.

La pianiste vedette Hélène Grimaud est de retour à Montréal cette semaine. Et c’est avec Yannick Nézet-Séguin et l’Orchestre Métropolitain qu’elle interprétera le titanesque 1er Concerto pour piano de Brahms, jeudi et vendredi à la Maison symphonique.​

L’Autriche, en mars 2012, a été le terrain de la rencontre entre Hélène et Yannick, avec le Philharmonique de Vienne pour témoin. « C’était une révélation. Vous savez, il y a des rencontres pivots dans une existence ; celles pour lesquelles il y a un avant et un après. Avec Yannick c’était vraiment cela ; c’était très, très fort. Yannick, c’est l’alliance parfaite et harmonieuse entre la tête, le coeur et les tripes. Cette synthèse-là est très rare », dit la pianiste en entrevue au Devoir.

Cette fusion spirituelle et musicale donne-t-elle à Hélène Grimaud des envies de concertos ? La pianiste répond spontanément « les deux Ravel ». Peut-être lit-on Le Devoir chez Deutsche Grammophon ? « Quand on rencontre quelqu’un de cette stature musicale, on ferait n’importe quoi. Je serais heureuse de redécouvrir n’importe quel compositeur, n’importe quelle oeuvre avec lui. » Inutile d’extrapoler. Le courant est passé !

Les concerts montréalais d’Hélène Grimaud et Yannick Nézet-Séguin vont équilibrer une balance qui compte pour l’instant davantage de rendez-vous manqués que de retrouvailles. « Je devais travailler pour la première fois avec Yannick au printemps 2010 à Rotterdam et à Amsterdam. Mais cela a fait partie d’une série de concerts que j’ai dû annuler après mon opération. » Plus récemment, en décembre 2013, à Philadelphie et au Carnegie Hall, c’est le chef québécois qui dut privilégier sa santé aux dépens de la musique.

Mauvaises langues

Il y a des artistes qui attirent presque immanquablement jalousies et suspicions. Mitsuko Uchida, trop japonaise pour jouer Schubert ? Hélène Grimaud, trop belle ou trop fragile pour être vraiment sérieuse ? Amusant, presque, de la voir accusée de jouer sur son aura, alors qu’elle ne s’exhibe jamais et préserve farouchement le pré carré de sa vie privée. On a pu lire qu’elle s’est intéressée « un jour » aux loups. Comme s’il s’agissait d’un gimmick marketing. Ce que beaucoup pensent tout bas.

Mais non, c’est très mal la connaître. N’en déplaise aux bourgeois bohèmes urbains, son côté « définitivement plus campagne que ville » est sincère. Hélène Grimaud vient de changer de vie et de se réinstaller dans les bois du comté de Westchester dans l’État de New York. C’est là que je l’avais connue il y a 16 ans. C’est là qu’elle établissait, depuis 1996, ce qui est devenu en 1999 le Wolf Conservation Center. Les loups, dans sa vie, il ne s’agissait pas de s’y intéresser « un jour », pour se distinguer des autres pianistes ou faire parler d’elle. Tout en menant sa carrière, elle a passé ses diplômes en éthologie, branche de la zoologie qui étudie le comportement animal.

« Mon tempérament me porte au micromanagement. Je suis une control freak. Cela tombait bien ; au début, il y avait tout à faire et ça me convenait bien de tout faire. » Le Centre, où elle est entourée de bénévoles et de son conjoint de l’époque, a démarré sur la base d’un enclos et trois loups. Puis Hélène Grimaud a acquis des terrains adjacents « pour développer des projets autour de la préservation du loup mexicain et du loup rouge », espèces dont il ne reste respectivement que 400 et 300 spécimens dans le monde.

« Le Centre s’est beaucoup développé, mais le projet reste fidèle à la vision de départ », se réjouit la pianiste. Avec le retour d’Hélène Grimaud dans des terres que son coeur n’a jamais quittées est arrivé un nouveau pensionnaire mascotte, le louveteau Nikai. Aujourd’hui, la superficie a quadruplé et plus de 30 loups occupent les terrains qui appartiennent désormais au Centre. L’ancienne demeure de la pianiste fait office de bureau, de musée et même d’hôpital vétérinaire : « Il s’agit d’en faire une infrastructure mieux adaptée aux projets de recherche, aux programmes éducatifs pour des enfants de tous âges et un espace confortable pour le public. » À ce titre, Hélène Grimaud, qui vous parle d’insémination artificielle aussi bien que de Beethoven, est devenue une administratrice, une spécialiste de collectes de fonds et de réseautage !

La vie monochrome

Cet appel, qui fournit la trame au troisième livre de la pianiste, Retour à Salem (Albin Michel, pas encore distribué au Canada) lui sert-il à supporter la pression ? « Ce n’est ni un outil ni un soulagement. Maintenant que j’ai connu les deux situations, je peux en parler. Avant l’Europe, je ne connaissais que cette vie doublée d’une autre vie. En Europe, je me suis concentrée sur la musique, le développement de mon répertoire, la musique de chambre. C’était une vie plus monochrome. Le retour aux sources me convient mieux. Je suis dotée d’un potentiel d’énergie très fort. J’ai toujours besoin de faire quelque chose et je n’ai pas besoin de beaucoup de sommeil. C’est une activité saine qui permet de mettre en perspective le métier artistique. Pas forcément le métier en tant que tel, mais tout ce qui est industrie ; ce qui est au périmètre de la profession. » Le projet de sauvegarde des loups, lui permet de « garder la tête sur les épaules, de relativiser et de rester fidèle à soi-même et honnête sur tous les plans. »

Hélène Grimaud ne se lasse pas du 1er Concerto de Brahms qu’elle jouera cette semaine « Chaque partenariat musical insuffle une nouvelle vie à votre rapport à l’oeuvre : ces rencontres représentent une source intarissable d’inspiration et de renouvellement. Cela continue à me fasciner et je peux m’imaginer, si Dieu me prête la santé, que je serai toujours là, à 90 ans, à me réjouir de revisiter certaines oeuvres. »

Le prochain grand concerto qui entrera dans le répertoire d’Hélène Grimaud sera le 3e de Rachmaninov. Pour cela, elle a abandonné le 2e Concerto du compositeur russe, comme si celui-ci la brûlait : « Je l’ai tellement joué, je me suis tellement identifiée à lui. Il fallait créer de la distance à partir du moment où j’avais l’impression de ne plus lui être suffisamment fidèle pour lui rendre justice. Tant que je ne ressentirai pas un besoin physique de le jouer, je ne le reprendrai pas », affirme celle qui est persuadée que même quand un pianiste ne joue pas une oeuvre elle continue de vivre en lui. C’est le cas du concerto de Brahms, qui l’accompagne depuis vingt ans.

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